La fille aux talons qui claquent

20 Octobre 2017

Ce matin je me suis rendu à l’hôpital. J’avais un rendez-vous de contrôle ORL. Il y a 3 mois, J’étais gros, je ronflais. J’avais entamé cette démarche médicale peu avant ma séparation, pour améliorer mes nuits. Arrivé en avance aux inscriptions, comme toujours, j’attendais mon tour en ressassant des choses inutiles. Une jeune femme, assez jolie, les talons claquants, s’approcha de l’appareil qui délivre les tickets de passage au guichet. Elle était nerveuse, pressée, agacée par cet appareil. « Faut-il vraiment prendre un ticket alors qu’on a déjà rendez-vous? » dit-elle d’un ton agacé et à voix haute dans la salle d’attente. Elle m’énervait. Je la trouvais hautaine. Qui était-elle pour se montrer si exigeante… ? On était au numéro 180, elle venait d’avoir le 213. Elle soufflait. Puis, je lui ai parlé, lui disant que ça avançait vite, à cette heure, il y avait pas loin de 15 guichets d’ouverts. Elle m’a regardé, son visage s’est illuminé un instant : “Merci monsieur”. Puis, en un instant, la lumière de son visage s’est éteinte. « Je suis dans cet état car je vais savoir aujourd’hui si j’ai un cancer » m’a-t-elle lancé. En un quart de seconde, j’ai été aspiré dans sa réalité. Je ne voyais plus cette femme agacée, hautaine. Je voyais la femme perdue, seule à ce rendez-vous, angoissée de l’examen et surtout du résultat. Les prochaines années de sa vie étaient pendues à ces résultats. Mon rythme cardiaque a augmenté, mon estomac s’est serré, j’ai eu un goût désagréable dans la bouche. Je vivais ses émotions alors que ce ne sont pas les miennes. J’ai pris trois grandes respirations, et maladroitement je lui ai lancé « je ne sais pas ce que l’on dit dans ces cas là. Courage, ça va aller…!? ». Son regard s’est levé, elle a souri. « Merci Mr ». S’en est suivi un long silence. J’étais mal et mal à l’aise, incapable de me dissocier des émotions que je vivais. « Vous êtes très en retard ? Vous voulez mon ticket? J’ai le 209 » « non c’est gentil, merci monsieur ». Elle avait son deuxième sourire du moment.

209, c’est mon tour. En me levant, je l’ai regardée et je lui ai dit : « je penserai à vous toute la journée ». Je n’ai pas pu attendre sa réponse. Je suis parti. En prenant mon portefeuille dans mon sac, je suis tombé sur un bonbon Vicks. Celui qui devait me servir à apaiser mon envie de cigarette de 10h. À cet instant j’ai entendu ses talons claquer dans ma direction, elle était appelée deux guichets plus loin. Je l’ai arrêtée, et lui ai tendu le bonbon : « tenez, une petite douceur, vous en aurez besoin ». C’était son troisième sourire.

Je ne te reverrai certainement jamais, et c’est dommage car j’aurais voulu te dire merci. Merci d’être passée dans ma vie, me montrer que nos douleurs sont insurmontables dans notre réalité, mais uniquement dans notre réalité, celle que l’on se crée. Grâce à toi j’ai bouleversé ma réalité. J’en ai vécu une autre. Une douleur tout autre. Cela me permet de relativiser et de comprendre l’importance de notre mental sur la gestion émotionnelle. Mais je dois te rendre cette douleur, c’est la tienne, pas la mienne. Je la vis depuis ce matin, elle me colle, seulement parce que mon mental la nourrit.

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